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Thursday 10 February 2011

Analyse de l'audience d'extradition de Julian Assange par Amandine

Un autre article très intéressant d'Amandine, journaliste free-lance basée à Londres: Audience d'extradition de Julian Assange

Je vous conseille d’aller sur son site accent francais pour l’article  La révolution dans les rues de Londres? et les impressions éprouvées.

 

Assange, fin de party?

Lever à 6 heures, pas loin de trois heures de transport en commun aller-retour, un Algeco surchauffé comme salle de presse. La journée a été longue mais quelle journée! Je croyais assister à une audience d'extradition. Or, j'ai plutôt eu l'impression de suivre une corrida haletante. Derrière la muleta, une avocate anglaise passée maître dans l'art du contre-interrogatoire: Clare Montgomery.
Hier (puisque minuit est passé à l'heure où je publie ce post), avait lieu la deuxième journée d'audience concernant la demande d'extradition de Julian Assange par la Suède. Et ce qui s'annonçait comme une audience soporifique s'est transformée en une démolition en règle de la défense de Julian Assange par Clare Montgomery, qui représente le parquet suédois dans cette affaire. En tendant l'oreille, j'aurais juré entendre le bruit d'un fouet ponctuer la fin de chaque question posée par Montgomery -l'avocate sait jouer avec les silences à la perfection, juste le temps que le juge et les journalistes impriment dans leur mémoire l'humiliation qu'elle a fait subir au témoin. Sur la forme, et, en partie sur le fond, au terme de ces deux jours, les avocats d'Assange ont été battus.
Résumé des épisodes précédents pour ceux qui auraient décroché : Assange, le co-fondateur de Wikileaks, est accusé d'agressions sexuelles et de viol par deux Suédoises. Une procureure, Marianne Ny, souhaite l'interroger à ce sujet. Comme elle n'a pu l'interroger en Suède où Assange se trouvait jusqu'à la fin septembre, elle a émis un mandat d'arrêt européen contre lui. Assange refuse d'être extradé en Suède, d'où l'audience de ces deux derniers jours.  
Lundi déjà, Montgomery avait montré que 1) elle ne se laissait pas du tout impressionner par la verve de Geoffrey Robertson, la star du barreau londonien qui défend Julian Assange ; 2) que ses questions sont autant de banderilles, que les témoins convoqués par la défense n'ont pas réussi à éviter. Bref, que la dame a un sens aiguisé du détail et aucune pitié lorsqu'il s'agit d'attaquer la crédibilité d'un témoin de la défense.
Je pense en particulier à Brita Sundberg-Weitman. Une juge à la retraite, sorte d'Eva Joly en suédoise, en un peu plus âgée et plus radicale qui, grosso modo, a dépeint la procureure Marianne Ny comme une féministe hystérique (soyons exacte, elle a dit "Je ne comprends pas son attitude. [..] Elle a l'air diabolique. [..] C'est une militante féministe radicale."). Le personnage mérite qu'on lui consacre plusieurs paragraphes mais, disons, en quelques mots, que 1) le sens de la mesure n'est pas son fort, que 2) elle semble se considérer comme la dernière défenseuse d'une justice indépendante en Suède et  qu'enfin 3) Brita Sundberg-Weitman, qui conserve une évidente vivacité d'esprit,  n'est plus exactement au coeur du système judiciaire -elle a pris sa retraite il y a 10 ans.
Mardi, parmi les moments particulièrement savoureux que nous a offerts Clare Montgomery, je citerais:
- le moment où l'avocat suédois d'Assange, Bjorn Hurtig, a reconnu qu'il s'était "trompé" en affirmant que Marianne Ny avait attendu 5 semaines avant de demander à interroger Assange (en fait, il s'est écoulé 3 semaines). Comment dire...il était penaud. Hurtig a expliqué qu'il s'était aperçu de son "erreur" hier soir, qu'il avait beaucoup de clients etc. Sa crédibilité a pris un coup de massue. Je ne sais pas ce qu'il en restait lorsqu'il est repris l'avion pour Stockholm ce soir. Je pense que sa crédibilité était en mesure de voyager à l'aise dans un bagage-cabine (pas besoin de payer de supplément bagage).
- dans le "top three", je placerais également le moment où Montgomery a demandé à Geoffrey Robertson et à Mark Stephens, les avocats d'Assange, de s'assoir pendant qu'elle procédait à un contre-interrogatoire. "Mr. Roberston should sit down" dit sur un ton mi- maîtresse d'école, mi-tiger mother. Priceless.
- et, enfin, s'il faut vraiment choisir, le moment où Clare Montgomery a insisté pour que Robertson soit à l'heure vendredi matin pour la dernière journée d'audience car elle doit prendre un avion pour Hong-Kong en fin d'après-midi. Je crois que c'est le petit plaisir qu'elle s'est accordée pour célébrer publiquement et, ma foi, sobrement, son passage au crible des témoins de la défense.
Sur le fond, cela prendrait beaucoup de temps de revenir sur chacun des arguments de la défense. Je pense que les avocats d'Assange ont des arguments valables concernant la procédure (notamment le fait qu'Assange aurait pu être interrogé à Londres par des policiers anglais, voire par des policiers suédois; le cadre procéduriel existe) mais ils se sont un peu dispersés. Par exemple, ils ont fait le choix de mettre en cause le caractère équitable du système judiciaire suédois. Ils s'attardent longuement sur le fait qu'en Suède les procès pour viol sont tenus à huis-clos et que cela constitue, à leur sens, une violation des droits de l'accusé. Par moments, ces critiques s'apparentent à un dénigrement du système judiciaire suédois.
Et que dire du traitement auquel a droit la proc' suédoise, Marianne Ny, représentée à l'audience par Clare Montgomery? Mardi soir, l'un des avocats d'Assange, Mark Stephens, lui a lancé un appel. Il lui demande de venir à Londres vendredi, pour la dernière journée d'audience, afin d'être interrogée par Geoffrey Robertson. "Viens te battre si tu es une femme." Ca n'est pas ce qu'a dit Stephens, en tout cas pas littéralement, mais le message est le même. Depuis le début, Stephens joue beaucoup la carte des médias. En décembre, cela a bien fonctionné. Mais, est-ce que cette déclaration n'est pas la phrase de trop? Un macho, blessé dans son orgueil, n'aurait rien dit de différent.

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